Ce livre n’est pas une biographie scientifique de Marcel Detienne (1935-2019) – enfin, il l’est sans l’être vraiment. Ce n’est pas non plus l’éloge du fils brillant et tumultueux de Jean-Pierre Vernant ou d’un des hellénistes, philologues et anthropologues de la Grèce ancienne les plus reconnus dans le monde. Il faudrait ajouter Claude Lévi-Strauss, Michel de Certeau et Georges Dumézil. Son ami Philippe Sollers, aussi. Le havre de paix qu’il avait trouvé à l’École pratique des hautes études, à Paris, venant de sa Belgique problématique. L’ostracisme qu’il a connu, enfin, des rives italiennes à celles des États-Unis. Tout ceci fait de lui un sujet infiniment incertain.
Il s’agit plutôt d’un essai subjectif, écrit à partir de nombreuses archives inédites, suivi d’une annexe de lettres. Il s’agit surtout de sonder un homme au plus profond, la manière dont un être se laisse marginaliser, pour aller au bout de lui-même. Ce livre est le fruit d’une visite que l’auteur a rendue à Detienne, quelques semaines avant sa mort, et d’une volonté de l’écrire après l’avoir vu. Vincent Genin a voulu rester un moment avec Marcel. Lire son œuvre, celle du structuraliste au cœur de la Grèce, du camarade des dieux (Dionysos, Apollon), de l’intellectuel qui doute, puis l’enfant de la guerre inquiet devant une Grèce étant la valeur-or des nationalismes.
Vincent Genin, historien, est postdoctorant à l’École pratique des hautes études (EPHE, Paris), section des sciences religieuses. Travaillant sur Max Weber et la laïcité, il est attaché au laboratoire du CNRS Groupe Sociétés, Religions, Laïcités (UMR 8582).
Sociologue et historien des sciences sociales, Jean-François Bert enseigne à l’Université de Lausanne. Ses travaux récents portent sur l’histoire des pratiques savantes et la matérialité des savoirs.
Il sera l'invité de la Librairie Payot Rive Gauche le jeudi 4 novembre prochain à 17h30 pour discuter de son livre avec Vincent Debaene (UNIGE), dans le cadre d'une rencontre organisée en collaboration avec la Société d'histoire des religions de Genève.
La démarche comparative que l’anthropologue Marcel Mauss (1872 – 1950) élabore en grande partie avec son jumeau de travail, l’historien Henri Hubert, entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, relève de logiques multiples. Comme méthode, elle est une stricte et minutieuse approche philologique des sources. Comme état d’esprit, elle relève d’une manière d’apprivoiser l’inconnu. Comme perspective critique, elle constitue un formidable outil scientifique d’objectivisation de la recherche, en particulier en histoire des religions.
Cet ouvrage se propose de montrer quels ont été les principaux effets de ce comparatisme ni systématique, encore moins achevé, mais que l’on peut reconstituer en suivant la manière dont Marcel Mauss aborda certains phénomènes religieux, comme le sacrifice, la magie ou la prière.
Ceci n’est pas seulement un nouveau livre sur Mauss et sur sa manière d’observer les phénomènes sociaux. C’est un livre sur les effets d’un comparatisme radical et subversif qui ne laisse jamais en paix celui qui décide de le mettre en oeuvre pour explorer et comprendre la diversité humaine.
Les premiers missionnaires débarqués au Brésil sont confrontés à un curieux paradoxe : alors que les Tupinamba acceptent volontiers la doctrine chrétienne et se convertissent, ils ne renoncent pas pour autant à leurs coutumes féroces, au cycle infernal des guerres intertribales, au cannibalisme et à la polygamie. Cette apparente inconstance, cette oscillation entre respect de la nouvelle religion et oubli de sa doctrine, entraîne finalement les Européens à déclarer que les Tupinamba sont fondamentalement sans religion, incapables de croire sérieusement en une quelconque doctrine.
Dans cet essai, le célèbre anthropologue brésilien Eduardo Viveiros de Castro, figure tutélaire des études actuelles en ethnologie amazonienne, revisite les sources du XVIe siècle pour restituer les enjeux de cette « inconstance de l’âme sauvage », en laquelle se disputeraient deux manières fondamentalement différentes de penser le monde et la société. Il nous invite à remettre en cause, dans une perspective à la fois historique et anthropologique, le rapport entre culture et religion.
Avec une préface de Daniel Barbu et Philippe Borgeaud.
Traduit du portugais (Brésil) par Aurore Becquelin et Véronique Boyer.
Qu’est-ce que la religion ? présente onze définitions de la religion formulées par autant d’anthropologues, sociologues et historiens des religions, du XIXe siècle à nos jours. Que ce soit l’animisme d’Edward Burnett Tylor, l’idée d’une opposition entre sacré et profane d'Emile Durkheim ou la conception politico-religieuse de Bruce Lincoln, on découvre un passionnant parcours historique et critique sur la notion de religion.
Ces onze définitions originales sont à chaque fois précédées d’une introduction générale présentant les enjeux théoriques et pratiques qu’implique l’acte de définir, ainsi que de brèves notices situant l’auteur et son œuvre. Dans ces temps troublés, où la religion est sans cesse invoquée – sans que l’on sache réellement de quoi il en retourne –, ce livre de vulgarisation de l’historien des religions Nicolas Meylan se révèle aussi précieux qu’indispensable.
Il existe de nombreux ouvrages sur l’Eglise au Moyen Age et les historiens prétendent souvent décrire la manière dont les chrétiens médiévaux vivaient leur religion, mais il n’y a pas grand-chose à lire sur la spécificité du christianisme médiéval.
Le présent ouvrage vise à montrer l’originalité, la puissance et la cohérence du christianisme médiéval de langue latine. Il procède de l’admiration que ressent chacun en visitant une grande cathédrale gothique ou de celle que procure la rigueur intellectuelle des théologiens scolastiques.
Monachisme, croisades, hérésies, Inquisition : autant de créations ou de développements que l’Occident chrétien a vu naître entre la fin de l’Empire romain et la Renaissance, et qui ont durablement marqué l’histoire du christianisme.
Ce livre propose un parcours à travers l’histoire de la réflexion occidentale sur la religion, à partir du christianisme ancien en quête de son autodéfinition jusqu’aux précurseurs modernes de l’histoire des religions. Il nous entraîne au cœur de la fabrique d’une culture occidentale, au croisement du monde gréco-romain, du christianisme ancien et du judaïsme rabbinique.
En suivant les réflexions des Pères de l’Eglise sur les origines de l’humanité, Guy G. Stroumsa nous permet de mieux saisir les cadres conceptuels qui vont déterminer, pour toute une tradition intellectuelle, la nature même de l’altérité religieuse. Surtout, il offre un nouveau regard sur l’histoire connectée du christianisme, du judaïsme et de l’islam, trois religions dont l’identité se construit, entre dialogue et conflit, autour de ou avec la figure d’Abraham.
Enfin, ce livre défend avec force la place et le rôle que doit avoir l’histoire des religions dans les débats actuels sur la diversité et la tolérance, débats essentiels s’il en est dans ce monde qui paraît chaque jour plus enclin à la violence religieuse.
La « divinisation de soi » constitue en Chine une option originale dans l’éventail des possibles destins posthumes de l’individu. Dans ce livre, Vincent Goossaert réévalue le modèle d’un au-delà chinois peuplé d’ancêtres, et remet en lumière une alternative tout aussi crédible, si ce n’est plus enviable : celle pour l’homme de devenir un dieu.
Ce faisant, le livre retrace les grandes étapes de l’histoire des conceptions et pratiques religieuses de la divinisation, de l’Antiquité à nos jours. Loin de la vision répandue d’un imaginaire funéraire essentiellement tourné vers le culte des ancêtres, la Chine se présente ici comme un terrain d’expérimentation des destins individuels au-delà de la mort
Dans ce livre passionnant sont présentées les religions de la Méditerranée ancienne – grecque, romaine, phénicienne et punique, hébraïque et juive, mésopotamienne, égyptienne – en mouvement. Au fur et à mesure de ces histoires de dieux en voyage, les principaux enjeux inhérents à la compréhension des religions antiques émergent naturellement : les noms des dieux, leurs images, leur traduction, les stratégies rituelles, le rôle des textes, la place des femmes ou des étrangers, l’attitude face à la mort, le rapport au pouvoir, les risques du voyage et de la confrontation avec l’altérité… Au cœur de chacun des douze chapitres, le lecteur découvrira les modalités et les effets des mobilités, libres ou contraintes, et une multitude de questions que soulèvent encore, de nos jours, les processus de transferts culturels dans un univers connecté. Une entrée unique pour mieux comprendre comment les Anciens ont pensé leurs dieux et construit leurs représentations du divin.
Le mythe n’est pas une croyance. Il relève d’une pratique du bonheur. Dégagé des contraintes du réel, faisant intervenir merveilleux et métamorphoses, il permet d’explorer les limites de l’imaginaire psychologique et social. Et sa fonction identitaire ne l’empêche pas de se transformer continuellement. Telle est l’appréhension de l’univers mythique que défend avec maestria Philippe Borgeaud. L’auteur étudie dans ce livre les réceptions diverses, selon le contexte, de plusieurs mythes, essentiellement grecs. Et le lecteur sort convaincu que le mythe n’est finalement rien de moins que la réponse multiple, jamais définitive, aux questions que l’on se pose sur le monde et sur soi-même.
L’histoire des religions ne saurait se passer d’une réflexion préalable sur ses propres conditions d’élaboration. Qu’est-ce qu’un « savoir religieux », qu’est-ce qu’un savoir « sur le religieux », en quoi et comment se distinguent-ils l’un de l’autre ? Ce livre est issu d’une série de recherches et d’enquêtes portant sur des horizons historiques et culturels contrastés. Il montre comment un scribe mésopotamien, un philosophe grec, un clerc bouddhiste, un égyptologue contemporain, un historien des religions, etc, élaborent leurs savoirs, comment ces savoirs se transforment et se perpétuent, quelles fonctions ils remplissent, qui les met en oeuvre, où et comment ils s’enracinent, pourquoi ils meurent.
Jonathan Z. Smith est l’un des plus remarquables historiens des religions de l’ère contemporaine. En pratiquant un comparatisme inattendu entre des religions très différentes dans le temps et l’espace, cet Américain original a suscité de nouvelles manières de comprendre les mythes et les rites. A ses yeux, la religion sert à décrire des relations que des hommes entretiennent avec des acteurs surhumains dont la culture postule l’existence. En ce sens, il n’existe pas de religion pure et originelle, mais des sociétés qui reprennent à leurs comptes des représentations de mythes qui elles-mêmes en relisent de plus anciennes. Avec cet ouvrage qui reprend six articles majeurs écrits entre 1974 et 2004, le public français a enfin accès direct à Jonathan Z. Smith sur des points décisifs de sa pensée. Un entretien biographique passionnant les ponctue, dans lequel l’auteur évoque notamment le passé et l’avenir de sa discipline.