Au IIe siècle de notre ère, l’Empire romain est au faîte de son pouvoir. Ce monde « globalisé » est cependant frappé par une série de pandémies qui vont profondément bouleverser les structures sociales et religieuses de l’Empire. Cependant, Rome semble hantée par le spectre de l’épidémie depuis ses origines. Les pages de historiens romains sont traversées par les récits de maladies qui mettent en péril la communauté et le rapport normal des Romains avec leurs dieux. Ces maladies du corps social apparaissent comme le signe d’un déséquilibre, auquel il faut répondre. Les autorités romaines interviennent par le biais de rituels ou introduisent de nouveaux cultes, comme le culte d’Apollon, qui vont s’ajouter à ceux élaborés en territoire romain comme le culte de la déesse Febris (fièvre), une petite divinité agissant dans le domaine de la maladie.
Cette prise en charge par l’État vise entre autres à gérer diverses formes de « superstition », des pratiques excessives promues par des individus ou de petits groupes au sein de la société romaine, et qui reflètent souvent la réaction émotionnelle de la population face à la maladie, mais qui peuvent aussi amener celle-ci à se détacher du culte traditionnel et ainsi devenir des facteurs de désordre social. La canalisation des émotions par l’État est une manière pour gérer la crise. Elle permet de réélaborer positivement un événement traumatique. Le moment de vulnérabilité est transformé en un moment de créativité religieuse et culturelle, qui évite l’irruption du désordre social au nom d’un programme commun, capable d’enrichir la collectivité dans son ensemble. Selon Kyle Harper, les choses changent après le IIIe s. de notre ère, alors que les structures de Rome et son système religieux se voient infléchies sous la poussée de multiples facteurs. Les pandémies, qui comme toutes les maladies ont des répercussions au niveau « spirituel », seraient parmi les facteurs qui auraient notamment contribué à préparer le terrain pour l’affirmation du Christianisme.
Priscilla Wald (née en 1958) est professeure d'anglais et d'études féminines à l'Université Duke. Elle est l'auteure de Constituting Americans : Cultural Anxiety and Narrative Form (1995) et Contagious : les cultures, les porteurs et le récit de l'épidémie (2008). Elle a publié de nombreux ouvrages au croisement de la science, de la médecine, du droit et de la littérature.
Elle aborde ici ce qu'elle appelle le "récit de l'épidémie", la forme narrative que les crises épidémiques ont pris dans la société occidentale depuis les années 1970, et examine comment ce "mythe" obscurcit la responsabilité humaine et établit la science et la technologie comme une sorte de pouvoir surnaturel permettant à la civilisation occidentale de vaincre une maladie diabolisée. Cette affirmation du statu quo dans un récit à forte connotations apocalyptiques est peut-être la raison pour laquelle nous n'abordons pas les questions plus larges qui ont conduit à l'émergence de nouvelles maladies telles que la COVID19.
La littérature européenne commence avec la « peste » du début de l’Iliade, à l’origine de la « colère d’Achille ». Les flèches d’Apollon, qui déciment l’armée des Achéens, sont le résultat de la malédiction lancée par son prêtre, insulté par Agamemnon. Caractérisé par un dosage variable de pestilence mortifère, de stérilité de la terre et de guerre civile, le fléau de l’épidémie appelée loimós hante la mémoire grecque, comme le signe d’une toujours possible colère des dieux. Appelé à Athènes pour purifier la cité menacée par un loimós dont on se souvient encore des siècles après, le purificateur crétois Epiménide procède à un étrange rituel de refondation de l’espace politique et religieux.Il fallait un étranger pour guérir la cité. La peste de 430 av. J.-C., la plus fameuse de toutes probablement, a été vécue, observée et décrite, en des termes qui n’ont rien de religieux, par l’historien Thucydide. Mais une dizaine d’année plus tard, l’Oedipe-Roi de Sophocle interroge à nouveau en termes de purification, l’épidémie déclenchée par Oedipe à l’insu de tous et à son propre insu. Le mal est considéré, par le choeur au début de la pièce, comme un intrus, un étranger venu corrompre le corps social et la fertilité de la terre, alors même que la cause de l'épidémie, finalement révélée, sera reconnue comme d’origine purement autochtone.
L’Egypte ancienne fournit une riche documentation non seulement pour une histoire comparée de la médecine, mais aussi pour l’anthropologie de la maladie et l’histoire des religions. En effet, les Egyptiens ont considérablement développé la pratique médicale, réservant celle-ci à des spécialistes, capables non seulement de prendre en charge les soins physiques, mais encore d’y apporter des solutions rituelles. Les maladies, en Egypte, sont généralement conçue comme des attaques perpétrées par des divinités. Les dieux envoient les maladies, mais les guérissent aussi. Les maladies sont elles-mêmes conçues comme des entités, qu’il s’agit de combattre par la pratique médico-magique. Les mythes détaillent la nature des maladies, les mettant sous la responsabilité de tel ou tel dieu. Ces mythes on peut les lire notamment sous la forme d’allusion dans les papyri médicaux. Dans l’horizon biblique, l’Egypte est associé à la notion de pestilence (les « plaies bibliques »), et une tradition gréco-égyptienne connue sous le nom d’histoire des « Impurs » (transmise notamment par l’histoire juif Flavius Josèphe) livre peut-être une vision hostile portée sur des groupes de populations considérés comme des vecteurs de maladies.
Depuis 40 ans, Carlo Ginzburg, historien de réputation internationale, n’a cessé de s’interroger sur le rôle de l’histoire. Ses travaux, tant sur la sorcellerie que sur l’histoire culturelle et intellectuelle de l’Europe que sur l’histoire de l’art et les enjeux de la démarche historique, ont marqué des générations d’historien.e.s.
Les réflexions épistémologiques qui traversent son oeuvre nous poussent à repenser ce qui constitue un témoignage, nous invitent à rechercher les voix et les idées ténues, enfouies derrière les documents, et nous font ressentir les soubresauts, les tensions entre norme et anomalie qui font la matière de l’Histoire. Intellectuel engagé, son regard sur le passé n’esquive pas les débats du présent. Il nous invite aujourd’hui à réfléchir sur hasard et le cas.
Les sensibilités religieuses blessées
Depuis la parution des Versets sataniques de Salman Rushdie en 1988, nous nous sommes habitués aux accusations islamiques de blasphème contre des productions artistiques, ainsi qu’aux redoutables mobilisations qui les accompagnent. Or elles ont été préparées, dans l’Europe et les États-Unis des années 1960 à 1988, par celles de dévots du christianisme (dont parfois leurs Églises) contre des films dont ils voulaient empêcher la sortie. Ils en ont successivement visé quatre, qui font aujourd’hui partie du répertoire international : Suzanne Simonin, La Religieuse de Diderot (Jacques Rivette, 1966) et Je vous salue, Marie (Jean-Luc Godard, 1985) ; Monty Python : La vie de Brian (1979) ; et La Dernière Tentation du Christ (Martin Scorsese, 1988).
En se fondant notamment sur des archives inédites, Jeanne Favret-Saada propose une suite de récits qui relatent les ennuis de chacun d’entre eux, et la modification progressive de l’accusation de « blasphème » en une « atteinte aux sensibilités religieuses blessées ». Ce sont autant de romans vrais, qui retracent à eux tous un moment unique de l’histoire de la liberté d’expression.
Jeanne Favret-Saada, directeur d’études honoraire à la Section des sciences religieuses de l’EPHE, a d’abord étudié la sorcellerie dans le Bocage de l’Ouest français, puis l’antisémitisme chrétien, et enfin les accusations de blasphème dans l’Europe actuelle.
Les dieux et la guerre dans l'Antiquité : légitimation, appropriation, destruction
Corinne Bonnet est professeure d'histoire ancienne à l'Université Toulouse Jean Jaurès et directrice de l'équipe Erasme du laboratoire Patrimoine, Littérature, Histoire (PLH-Erasme) sur la réception de l'Antiquité. Elle a récemment publié avec Laurent Bricault (professeur d'histoire romaine, Université de Toulouse) qui sera également présent lors de cette conférence, un ouvrage intitulé Quand les dieux voyagent: cultes et mythes en mouvement dans l'espace méditerranée antique (Labor et Fides, 2016).
Les Grecs croyaient-ils à leurs dieux ? Vraie question ou faux problème ?
En 1983, Paul Veyne faisait paraître un petit livre incisif intitulé « Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes » auquel le titre de cette conférence fait directement référence.
Entretien avec Bruce Lincoln, professeur d’histoire des religions à l’Université de Chicago
Partie 1 :
Partie 2 :
Dans le cadre de la visite de Bruce Lincoln à l’Université de Genève en juin 2015, l'association des étudiants en histoire des religions (AEHR) a organisé une discussion entre le professeur et les étudiants de l'Université.
Lien vers la vidéo de la conférence de Bruce Lincoln, « Le loup-garou et l’historien: le drame de la resistance religieuse »
Le loup-garou et l’historien : le drame de la résistance religieuse
Conférence inaugurale de la Société d’histoire des religions de Genève
9 juin 2015
Dans cette conférence, Bruce Lincoln nous invite à reconsidérer le procès du « Vieux Thiess », loup-garou livonien du XVIIe siècle étudié, entre autres, par Mircea Eliade et Carlo Ginzburg. Une analyse serrée de la documentation l’amène à aborder la question des tensions culturelles, religieuses et sociales qui divisent la Baltique à l’époque moderne, et à envisager le cas de Thiess comme un exemple particulièrement éclairant de « résistance religieuse ». Surtout, Lincoln montre, de manière remarquable, comment la religion ne peut être étudiée indépendemment des réalités historiques, politiques et sociales dans lesquelles elle s’exprime.
Entretien - 12 janvier 2015
Entretien avec Philippe Borgeaud, professeur à la Faculté des lettres, 1987-2011, avec la participation de Michel Grandjean
Une conversation sur les miracles (La Flèche, autour de 1735) - 9 mai 2012 Dans cette conférence donnée le 9 mai 2012 à l’Université de Genève, en tant que professeur invité de la Maison de l’histoire, Carlo Ginzburg nous invite à réfléchir, à partir de la généalogie du Traité sur les miracles de David Hume, sur quelques filiations intellectuelles dans la France du XVIIIe siècle et l’impact discret de l’œuvre de Spinoza. Il propose également un important argument méthodologique, sur la valeur du silence et de données contrefactuelles en histoire.
Leçon d'adieu - 23 mai 2011
A l'occasion de sa leçon d'adieu, le professeur d'histoire des religions Philippe Borgeaud s'exprime sur le thème "A chacun sa religion".
Interview RTS - 31 octobre 2002
Dans cette émission de la série des Grands entretiens, menée par la journaliste Catherine Unger en 2002, l'historien des religions Jean Rudhardt explique comment, de marxiste convaincu -et donc athée- qu'il était, il est venu à l'étude des religions de la Grèce antique.
Lien vers l'article - 1er octobre 2015
Mondes clos propices aux fantasmes et aux désillusions, les territoires insulaires exercent une fascination puissante sur les sociétés humaines. Une navigation lancée par trois historiens genevois des religions explore cinq mille ans de rêves